Interview de Michel Abecassis : la Passion Selon Mik.22

Interview de Michel Abecassis : la Passion Selon Mik.22
Rencontre avec le Patriarche du Team Winamax, sa vie, ses passions, sa vision du Poker et des photos souvenirs

Il y a des parcours linéaires, des interviews finalement convenues, où l’on passe de l’école au Poker en quelques lignes. Quand on rencontre un des patriarches de PokerLand, on s’arme d’un bloc tout neuf, de son plus beau Bic à 4 couleurs et on part d’une Doc alerte voir le Doc.

Michel Abécassis est comme les chats : il a eu plusieurs vies. Ces vies qui se sont entremêlées au gré des rencontres et des découvertes, sont animées par la passion et l’envie de toujours se dépasser : apprendre, créer, progresser, un crédo qu’il n’a eu de cesse d’appliquer dans la vie comme au Poker … Coup d’œil dans le rétroviseur…

Rétro

Une enfance algérienne

Michel est né à Oran en 1952. Maman institutrice, Papa gérant d’une imprimerie-papeterie et un petit frère né en 1957.  Il aura plus tard deux sœurs du second mariage de son père, après le divorce de ses parents. Un brin de nostalgie pour une certaine douceur de vivre avant « les évènements » :

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                                                                               MIK.22 à ses débuts

« J’ai passé mes 10 premières années en Algérie. J’ai des souvenirs très vifs de ces moments : je crois que je pourrais encore me faufiler dans les ruelles sans me perdre. C’est un autre temps, un autre monde, une autre vie … J’étais un enfant plutôt solitaire et introverti, avec des bulletins scolaires du genre « bon élève… ».

Groupe

                                                    Année scolaire 1958-59, en CE1 (au 3ème  rang, le 2ème à g.)

Je n’ai pas eu d’éducation religieuse, plus une transmission de l’attache aux traditions, sans aucun sectarisme. Je reste agnostique : je n’ai pas résolu le problème.

Et puis la guerre d’indépendance s’est intensifiée, indépendance inéluctable. Je me souviens très bien de l’ambiance terrifiante, des attentats de l’OAS dont même ma famille a été victime… il a fallu partir. Je ne suis jamais retourné en Algérie depuis. Peut-être un jour … »

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« Je me souviens parfaitement de cette villa au bord de la plage où nous passions les vacances, près de Mers El Kebir… »

De Rouen à Paris : découverte de la Métropole

La famille quitte donc l’Algérie en 1962 et le petit Michel découvre un autre monde :

« Nous avions tout perdu comme beaucoup de familles de rapatriés. On s’est installé à Rouen, en banlieue, dans une cité HLM. Le contraste avec l’Algérie était saisissant : climat, ambiance, mentalités. Bref, c’était pas du tout « comme là-bas » ! 

Je me suis fait vite quelques copains en 6e, mais j’ai dû mettre 4 ou 5 ans à être invité chez l’un d’eux. On était des Pieds-Noirs rapatriés, juifs de surcroit et considérés comme des immigrés. En revanche, sur le terrain vague de notre cité où l’on jouait au foot on cohabitait tous très bien : arabes, juifs, normands, pauvres ou un peu plus riches …

Avec tout ce qu’il se passe à l’heure actuelle, je repense souvent à cette époque, à cette mixité. On était dans un environnement défavorisé et pourtant, ça se passait : pas de délinquance, un vrai mélange culturel et social. Comment en est-on arrivé là aujourd’hui ? «

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« On représentait le lycée à la télé pour « Le Jeu du Bac », animé par Raymond Marcillac. Et on a gagné plusieurs dimanches de suite, c’était la gloire, pensez donc ! Faut dire qu’à l’époque il n’y avait qu’une seule chaîne… »

Les parents de Michel divorcent et en 1967, il part s’installer à Paris chez ses grands-parents maternels et intègre l’un des plus prestigieux lycées parisiens :

« Je suis admis à Henri IV. Etant toujours assez bon élève, je mène de front à la fois un Bac C et les matières littéraires du Bac A en plus. C’est à ce moment que je découvre une passion qui deviendra vite dévorante : le Bridge.

Je suis fasciné par ce jeu de réflexion qui est aussi une formidable évasion du quotidien, mais loin de l’image d’Epinal de vieux bourges qui font salon autour d’une tasse de thé. Je rêve de devenir Pro mais je m’aperçois vite qu’on ne peut pas vivre uniquement de ça et ce jeu restera à jamais une passion, un loisir, une activité prenante. »

De la Seringue à la plume : le grand écart

Les évènements de 68 glissent sur Michel peu politisé et accaparé par le Bridge et les études :

« Au quartier latin, j’étais en plein cœur des évènements géographiquement parlant : les voitures brûlaient, les rues étaient éventrées, les manifs se terminaient souvent dans mon lycée où j’ai croisé Cohn-Bendit, mais bon j’étais plus à fond sur le Bridge que sur les changements de la Société.
Pour te dire, un jour de la grève générale, j’ai passé ma journée à tenter de trouver un exemplaire de mon mensuel de Bridge dans tout Paris. Pour l’anecdote, je suis devenu Directeur de cette publication, bien des années plus tard…

J’ai eu différents partenaires au cours de ma carrière de joueur : le bridge n’est pas un jeu individuel comme le poker. Ici l’unité est la paire, un tandem à l’intérieur duquel on doit beaucoup travailler pour être performant et garder un équilibre.

Au fil des années, j’ai enchaîné les tournois, intégré l’équipe de France, remporté les Championnats de France à de nombreuses reprises, deux fois les championnats d’Europe. La plupart des joueurs doués de ma génération ont arrêté leurs études. Moi non. Tout comme eux, j’étais pris par cette passion dévorante, mais je me refusais à être enfermé dans un microcosme dont j’entrevoyais les limites : le jeu lui-même est un univers infini, mais le milieu de la haute compétition est beaucoup plus étriqué.
J’ai entamé des études de médecine, un temps délaissé ma passion, mais diplôme en poche tout en commençant à faire des remplacements à l’hôpital, j’ai recommencé à jouer.

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                                     Dans les années 70, premiers succès aux Championnats de France de bridge

Michel se marie  et devient papa de Valentine en 1986, puis de Victor en 1988. Mais il a la bougeotte, sa vie ne lui convient plus et il décide de partir pour de nouvelles aventures :

« J’avais envie  de me diversifier, comme toujours et en même temps envie d’une situation stable. J’ai pensé d’abord à la communication médicale et puis un ami m’a proposé un poste de stagiaire à ELLE, au service editing-rewriting : il s’agissait de réécrire les textes, de les couper, puis de faire les titres, les chapeaux, les légendes des photos…. Pas une rubrique en particulier mais tous les compartiments du journal ! Cela convenait assez bien à  mon côté touche-à-tout, mais comme je n’avais aucune formation, j’ai beaucoup souffert au départ. Je peinais durant des heures pour écrire trois lignes… Pas évident de se reconvertir entièrement à 37 ans !

ELLE

« Les années 90 à ELLE. On a beaucoup travaillé mais c’était très joyeux, beaucoup grâce à la personnalité formidable d’Anne-Marie Périer-Sardou, notre Directrice de la Rédaction (ici au fond, à son bureau) »

Mais les études, quelles qu’elles soient, ça structure et ça apprend à apprendre. Donc je me suis amélioré petit à petit et j’ai été engagé comme journaliste-rédacteur au bout de six mois. Je suis ensuite devenu chef de service, puis Rédacteur en Chef adjoint en charge de l’editing et en même temps Rédacteur en Chef du supplément masculin de ELLE.

Le Bridge continuait à être un loisir prenant, mais je consacrais beaucoup de temps à l’essentiel : ma famille et mes enfants. »

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                                                                            Juillet 1988. Une famille en or !

Et la vie d’un battement de paupière …

On le sait, la vie réserve parfois de curieux rebondissements : la carrière de Michel semblait toute tracée mais une rencontre et un évènement dramatique vont bouleverser sa vie :

«  Le Rédacteur en chef de ELLE était à l’époque Jean-Dominique Bauby. Quelques semaines après avoir fêté les 50 ans du journal, il a fait un AVC et s’est retrouvé victime du « Locked-In Syndrome » (NDLR : Entièrement paralysé mais conservant la plénitude de ses capacités intellectuelles, il ne peut plus mouvoir que l’une de ses paupières, ce qui lui permet d’établir une communication avec d’autres personnes.)

On travaillait ensemble et on était copains et là, au fil de mes visites à Berck où il était hospitalisé, on est devenus vraiment amis. Il s’est mis à écrire son fameux livre « Le scaphandre et le papillon » dans sa tête durant la nuit et j’ai fait partie de ceux qui recueillaient au matin ses mots, dictés par des battements de paupière, qui devinrent un bestseller mondial, puis un film.

Autour de Jean-Do, avec quelques-uns de ses amis proches, nous avons créé ALIS, une association pour faire connaître cette maladie, aider à la Recherche et au soutien des familles touchées par le Locked-In Syndrome. C’est une très lourde prise en charge pour éviter que l’état des patients se dégrade.
Jean-Dominique est mort 3 jours après la parution du livre, j’ai quitté ELLE très marqué par cette tragique histoire et je suis resté Secrétaire Général de l’ ALIS pendant plusieurs années. »

livre

De la plume aux jetons

Nouvelle sortie des sentiers battus pour Michel, qui se lance dans un projet de magazine, qui restera dans les cartons faute de financement. Entre temps, il écrit la rubrique Bridge du Nouvel Observateur : le succès est au rendez-vous car il prend le parti-pris d’écrire des portraits et des anecdotes pouvant être lus par les non bridgeurs. Ce pari l’avait également amené aux commandes d’un reportage de 52 minutes pour Canal + retraçant les Championnats du monde de son jeu favori, là encore avec bonheur. Mais on est encore loin de sa passion d’aujourd’hui…

« C’est en quittant ELLE que j’ai découvert le Poker. On est en 1997, je ne voyais au départ qu’un jeu d’argent et de hasard et ça me tentait peu, jusqu’au moment de ma rencontre avec Patrick Bruel et ses amis, qui jouaient des parties de poker endiablées, dans des variantes que je ne connaissais pas du tout.

J’apprends alors le Poker à 2 cartes et ça devient vite une passion. Je pressens le potentiel immense de ce jeu : la compétition, les émotions fortes, les paillettes de Vegas : ça va faire un tabac, j’en suis sûr !
Je fais mes classes à l’ACF, en cash game et en tournoi. J’essaye d’aborder le jeu sous l’angle de la logique et de la réflexion, bien aidé en cela par ma formation de  bridgeur. Je progresse et je me mets à gagner –à l’époque c’était nettement plus facile qu’aujourd’hui ! A cette période aussi, je monte l’un des premiers blogs de poker, sinon le premier : Pokerfull.com, que je réalise et écris entièrement jusqu’en 2008, sans chercher à gagner le moindre centime. La passion, toujours. 

 Arrive le jeu sur internet, la victoire de Chris Moneymaker et les premières émissions de télé. Je présente sur Eurosport avec François Delmotte ou Nicolas Delage mais l’engouement populaire et le grand chambardement viennent évidemment de Patrick Bruel sur  Canal+ ! C’est vraiment là, en 2006, que le phénomène devient énorme en France… »

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                   « Patrick Bruel, celui grâce à qui tout est arrivé. Le rencontrer aura a été ma plus grande chance ! »

L’aventure Winamax

Les rooms commencent à s’intéresser au marché français et Michel est contacté par certaines d’entre elles pour devenir leur ambassadeur local. Il manque de signer plusieurs fois, mais suit comme toujours son instinct et son sens de l’Amitié :

« Patrick Bruel m’a présenté à Alexandre Roos et Christophe Schaming, les fondateurs, entre autres, de Caramail. Ils souhaitaient développer un site de Poker et cherchaient quelqu’un qui connaisse le jeu, le milieu et qui soit capable de les conseiller pour donner une orientation stratégique à la room et aussi créer un contenu éditorial.

 L’idée de travailler avec ces deux génies de l’internet, brillants et hyper intelligents, ayant une approche originale du business, avec en plus Patrick comme fer de lance, tout cela m’a emballé. L’aventure s’annonçait passionnante et elle l’a été !

Au départ nous étions 4 ou 5 dans un appartement, les idées fusaient, on travaillait en osmose, un esprit qui perdure encore à l’heure actuelle alors que l’entreprise compte plus d’une centaine d’employés : travail en « open-space », discussions et prises de décisions en direct, réactivité maximale, sans déperdition de temps ou d’énergie. Il y a eu aussi, d’emblée, cette volonté de créer une communauté, d’aborder le poker par la compétition, la progression et la convivialité plus que par le hasard, la flambe et l’argent. C’est tout cela qui a fait le succès de Winamax.

C’est dans cet esprit que nous avons créé le Forum WAM-poker, au départ c’était juste une page et puis des milliers de joueurs nous ont rejoint, on a commencé les coverages, les discussions techniques en tous genres, les vidéos…

En 2007, nous avons formé le tout premier Team Winamax avec des joueurs de talent, pas forcément connus mais qui auraient pour mission d’être les ambassadeurs d’une certaine approche du poker : pas de cloisonnement et une logique de partage vers tous les passionnés sans exception, avec des Master Class, des vidéos de Pros, des blogs, des tournois ensemble sur le site. Tous les joueurs qui ont fait un bout de chemin dans le Team ont chacun apporté quelque chose de par leur diversité et leur complémentarité.

Team

                              Le Team, version 2011.

C’est une grande fierté d’avoir participé à la création de cette équipe et d’ailleurs au départ je faisais un peu le lien au sein du Team. Mais c’était du bricolage ! Aujourd’hui Stéphane Matheu gère l’équipe en super pro. Il a un grand sens de l’organisation, une gestion collective et individuelle exemplaire, et pour moi une part de chacune de nos perfs lui revient de droit. Il nous a fait faire à tous d’énormes progrès.

Aujourd’hui je continue avec la même passion et la même envie de progresser, mais comme me l’a très justement reproché mon ami Ludovic Lacay la semaine dernière, je ne joue pas assez. Il va vraiment falloir que je m’y mette ! Car pour s’améliorer il faut travailler son jeu en permanence et notamment online. C’est là qu’on peut le mieux affûter et rôder ses stratégies. D’ailleurs, pour l’instant, je ne me considère pas comme un joueur professionnel de poker. Plutôt comme un professionnel dans le Poker et un passionné du jeu, surtout en compétition. Je suis autant « à fond » dans un tournoi WSOP que sur un tournoi avec les Wameurs, un freeroll dans le club que je parraine à Lyon ou une étape régionale du WiPT »

Le Poker : une école de vie, un outil de travail sur soi-même

Je ne pouvais manquer d’interroger Michel sur sa vision du Poker féminin :

« Historiquement et socialement, les jeux, dans leur ensemble, sont plus une affaire d’hommes. Peut-être parce que les femmes sont, davantage que nous, en prise directe avec les réalités du quotidien. C’est tout à leur honneur. Ce n’est évidemment pas une question d’intelligence mais plutôt de préoccupations et de priorités différentes. Toutefois, les temps changent et on voit de plus en plus de femmes qui sont au niveau des meilleurs hommes.

Le Poker est extrêmement formateur, il est même enseigné dans certaines universités à l’étranger. En France il est encore mal vu, alors qu’aux USA où il fait partie de la culture, on reconnait qu’il met en jeu beaucoup de qualités essentielles. Il permet d’acquérir une certaine lucidité, du recul sur les situations et sur soi-même, d’améliorer son sens relationnel. Dans la vie comme au poker, il n’est pas bon de se surestimer, ni de se dévaloriser. Il faut regarder son jeu avec objectivité, compenser certains défauts par d’autres qualités, travailler ses points forts comme ses points faibles C’est la même histoire dans tous les domaines… »

Et l’avenir ?

« J’ai arrêté le Bridge en 2004, je n’aurais d’ailleurs jamais imaginé que ce soit possible. Mais j’ai repris récemment la haute compétition avec beaucoup de plaisir et pas mal de réussite. Je n’ai rien perdu de mon jeu, au contraire le Poker semble m’avoir fait progresser.Je vais tenter de me qualifier en équipe de France et jouer de grandes épreuves nationales et internationales dans les années qui viennent.

Quant au Poker je continuerai au sein du Team Winamax le plus longtemps possible !  J’aime vraiment les échanges entre nous sans aucun formalisme, nos séminaires techniques, nos dîners tous ensemble avant un EPT…ou nos sorties après !

Pour le reste je mène une vie personnelle très heureuse avec Sophie, ma compagne qui est décoratrice d’intérieur et pas du tout joueuse !

Sophie

Et puis évidemment, je suis très fier du parcours de mes deux enfants : Valentine est greffière au tribunal de Grande Instance et passionnée par son métier ; Victor, lui, est spécialiste de l’Amérique du Sud, responsable au sein de l’organisation internationale Open Diplomacy et très impliqué dans une démarche écologique. 

Enfants

J’ai toujours été et je reste aujourd’hui encore très proche d’eux. Ils sont formidables.

Bref, au total et si je devais résumer, je crois que j’ai eu beaucoup de chance !… »

Route